COWAP October newsletter
Update on Rafa Nached
Further to the email sent round to those on the COWAP email list, today, (27.10.2011) the EU Parliament will raise the case of Rafa Nached the psychoanalyst imprisoned by the Syrian authorities since early September. Today’s debate in the European Parliament will be shown live (15:00-16:00 GMT+1) and can also be viewed tomorrow. http://www.europarl.europa.eu/sed/speeches.do
See at the end of this Newsletter for Julia Kristeva’s intervention
May 25-26, 2 day IPA/ COWAP conference ‘Medea: Women and destructiveness’, Helsinki University – This event has been added to the world map on the IPA website and to the General Calendar Events
page(http://www.ipa.org.uk/eng/news—events/general-events-calendar/)
COWAP Calendar 2011
November COWAP contribution within the DPV annual conference ("Generativity"), Bad Homburg/Germany: Impeded generativity: the wish for a child, when it is too late‘. (Verhinderte Generativität: Kinderwunsch, wenn es zu spät ist). Speaker: Herta H. Harsch, Chair: Ingrid Moeslein-Teising. The evening before the conference opens a group of four women, all active within COWAP, although it is not publicised as a COWAP contribution, will give a ‘public contribution’:In honour of Margarete Mitscherlich: Peaceable woman – quo vadis? Speakers: Almuth Sellschopp, Christiane Schrader, Dorothee Stoupel, Ingrid Moeslein-Teising. It will be in the presence of Margarete Mitscherlich (aged 94). The peaceable (friedfertige) woman was one of her books.
23 November Prof. Dr. Joan Raphael-Leff, Cradle to couch – influence of the British Independents’ transition from ‘object relations’ to ‘subject relations
Prof. Dr. Joan Raphael-Leff, UCL/Anna Freud Centre London (im Rahmen des Women and Psychoanalysis Comittee- COWAP)Mittwoch, moderated by Dr Helmuth Thiel, Psychoanalytisches Institut Berlin eV.-PaIB, um 20 Uhr 30, Eintritt frei.
26-6 November Buenos Aires, COWAP regional meeting ‘Cuerpo Genero y Cultura’ (‘Body, Gender and Culture’).
Alejandra Marucco (APA), Luz Abatángelo (ÄPA), Silvia Jadur (APA), Haydeé Zac de Levinas (APDEBA), María Alejandra Rey (SAP) and Ema Ponce de León (APU) have sent the flyer at the end of this newsletter.
Danish Psychoanalytic al Society
Friederike Unger is the COWAP representative
Please circulate this newsletter widely and we welcome reports of conferences, meetings, book reviews etc. If you wish not to receive further newsletters please email.
Frances Thomson Salo
Chair COWAP
COWAP Calendar 2012 – 2013
31 March COWAP panel, EPF conference, Paris, ‘Thoughts about gender in initiating Psychoanalysis’. Panellists: Penny Crick and Paul Denis
May 17 – 20 Bilbao, 72nd Congress CPLF, ‘Oedipe(s)’ – a COWAP atelier, with Nicole Carels (Belgian Society COWAP representative) and Panos Aloupis as Co-Chairs. They have received confirmation from Georges Pragier and Evelyne Chauvet for the COWAP panel, and Jacqueline Schaeffer (Paris), Teresa Flores (Portugal) and Jaime Szpilka (Spain) and Margarita Amigo will participate. as to the composition of our working party at the CPLF Bilbao Congress.
May 25-26, 2 day IPA/ COWAP conference ‘Medea: Women and destructiveness’, Helsinki
See below for further details
June 4-8 Second COWAP Conference in Paris, La construccion de la parentalidad en la adolescencia. Los retos actuales en Mexico y Francia (The construction of parenthood at adolescence. Present challenges in Mexico and France) This is a continuation of the first COWAP conference organized in 2009 in Paris by Teresa Lartigue and Leticia Solis Ponton.
28-9 September COWAP conference ‘Women and Creativity’, Genoa
Provisional details: Venue: Palazzo Ducale with Stefano Bolognini addressing the city of Genoa on the evening of 28th.
5 – 6 October COWAP conference, Seattle, ‘Images of Women’
Co-sponsored by the IPA and by the Seattle Psychoanalytic Society and Institute (SPSI). Laurie Wilson, Mariam Alizade and Gertraud Schlesinger-Kipp are confirmed speakers, with local/regional speakers and discussants to be arranged. Contact: Cecile Bassen, cbassen@hotmail.com
10 October, COWAP meeting in FEPAL (Latin America) conference, Sao Paulo
Meeting of COWAP representatives.
2013
Late April, ‘Myths of Mighty Women’ conference, New York
Organised by Arlene Kramer Richards, on psychoanalytic understanding of the fear of and the identifications with powerful women, with papers from Germany and Mexico.
Istanbul
2 day COWAP conference planned by Turkish Study Group
July IPA Congress, Prague
Email suggestions of possible themes to me to collate and put forward.
Helsinki Cowap Conference
MEDEA – WOMEN AND DESTRUCTIVENESS
University of Helsinki
FRIDAY, MAY 25th (in Finnish)
9.30 Registration 9.50 Opening speakers Anna-Liisa Roinisto-Dumell, Helsinki Association of Psychoanalytic Psychotherapy (EFPP)
Liisa Falk, Finnish Psychoanalytic Society
10.00 Vicissitudes of Female Revenge Elina Reenkola
13.00 Womens’ and Girls’ Violence and Power Told in Fairy Tales Anneli Larmo
15.00 Emotional dynamics of female suicide survivors. A case study Anna-Liisa Roinisto-Dumell
16.30 Clinical workshops
18.00 Reception – Welcoming address of University of Helsinki
SATURDAY, MAY 26th (in English)
9.50 Opening of the day Elina Reenkola
Greetings of IPA COWAP Frances Thomson Salo, Chair
10.00 On Medea Fantasy Marianne Leuzinger-Bohleber
11.30 Lunch break
13.00 The Ever Present Tragedy of Medea: Women’s Attack on Their Own Creativity Laura Tognoli
15.00 Screening "Medea" directed by Lars von Trier (1988) (76 min)
17.00 Closing remarks Anna-Liisa Roinisto-Dumell, Anneli Larmo
19.30 Gala dinner
Welcoming address of Helsinki Association of Psychoanalytic Psychotherapy
Arja Huttunen, Chair Finnish Psychoanalytic Association
vidéo de l’intervention de Julia Kristeva |
JULIA KRISTEVA
Rafah Nached
On ne pouvait trouver meilleur nouveau souffle à l’hommage rendu à Lacan que d’approfondir cette rencontre – surgie dans l’actualité la plus brûlante – entre la psychanalyse, la politique et les femmes. Nous sommes à un moment qu’il faut bien dire historique, pour la psychanalyse, pour la politique, pour les femmes, et qui donnera certainement lieu à de nombreux combats, réflexions, colloques, séminaires, actions et pages à venir…Merci de m’avoir invitée d’amorcer cette réflexion, et permettez-moi en quelques minutes d’esquisser quelques pistes. Avant d’aborder l’essentiel : le fragile génie féminin de la psychanalyste syrienne Rafah Nached.
1. Il ne peut pas y avoir de politique de la psychanalyse. La psychanalyse est l‘expérience intime par excellence, Freud et Lacan ne cessent de le faire entendre, chacun à sa façon unique. En revanche, l’écoute du parlêtre est cette révolution copernicienne des valeurs et des normes, qui ouvre de nouvelles possibilités de lien à autrui, lesquelles constituent l’essence même de la politique. Puisque l’écoute de l’inconscient dévoile la singularité de l’être parlant, il est inévitable que la psychanalyse rencontre la préoccupation centrale du 3e millénaire que je définirai ainsi : quel sens donner à lasingularité, qui est devenue synonyme de bonheur par la liberté ? La psychanalyse est appelée à répondre à cette question. Pourquoi ? Parce que la découverte freudienne de l’inconscient a transféré les ambitions religieuses et philosophiques d’un Occident soucieux des droits de l’homme au coeur même de la rationalité scientifique. Et cette approche, notre approche psychanalytique de l’humain, s’oppose aussi bien au pseudo-humanisme prêt à blinder le malade sous la carapace d’un travailleur à évaluer, qu’à la terreur que répandent les intégrismes politiques ou religieux, ainsi qu’aux divers acharnements scientistes. Rafah Nached est le témoin de cette résistance, lorsqu’elle essaie de donner la parole à la peur, face au régime syrien.
2. Est-ce une résistance de femme ? de féministe ? Qu’est-ce que le féminisme ? Qu’est-ce qu’une femme ? Loin de moi l’ambition de vous introduire dans ce continent complexe, d’autant que – vous l’avez entendu- c’est la singularité de RafahNached que je souhaiterais mettre en évidence, sa singularité de femme psychanalyste dans une culture spécifique. Après les suffragettes et avant l’intérêt du mouvement féministe pour la psychanalyse dans la foulée de Mai 68, c’est Simone de Beauvoir qui fut la première à ouvrir une passerelle entre le mouvement pour l’émancipation des femmes et l‘inconscient. On ne le dit pas assez. Non seulement vers la fin de sa vie ( dans Tout compte fait, I972) elle écrit que Freud est « un des hommes de ce siècle qu’ /elle/ adore le plus chaleureusement ». Mais, malgré les critiques (basées sur des incompréhensions) qu’elle adresse à la psychanalyse, dès le Deuxième sexe ( 1949) c’est dans la psychanalyse que Beauvoir puise l’idée fondatrice de son livre qui a sonné comme une gifle à l’establishment et qui dérange encore. Le « sexe », dit-elle en substance en se référant au « point de vue de la psychanalyse » (p.80 du livre), « c’est le corps vécu par le sujet ». « Ce n’est pas la nature qui définit la femme : c’est celle-ci qui se définit en reprenant la nature à son compte dans son activité ». Beauvoir reprend ainsi à son compte la refonte freudienne du dualisme métaphysique corps/âme, chair/esprit, nature/culture et, en considérant le « sexe » comme une « psycho-sexualité », l’existentialiste se montre plus complice de Freud que ne le sont maint phénoménologues qui accusent le docteur viennois de « biologiser l’essence de l’homme ». C’est Lacan qui allait radicaliser cette refonte de la métaphysique, tandis que l’ambivalence de Beauvoir devait nourrir la ruée d’un certain féminisme, notamment aux USA, contre la psychanalyse. Pourtant, et a contrario, ces malentendus ont suscité aussi des mouvements qui tentent de s’informer mieux de l’actualité psychanalytique et qui devaient conduire à la naissance dePsychanalyse et politique en France. Et surtout, la clinique et la théorie analytique contemporaine sont en train de développer une analyse sans précédent de la sexualité féminine, et plus récemment, de la passion, ou de ce que j’appelle la « reliance » maternelle.
3. Le phénomène Rafah Nached s’inscrit dans cette histoire et prend place dans le nouveau contexte de la globalisation. J’insisterai d’abord sur la face sociale de sa recherche et de son action, qui a conduit au scandale contre lequel nous protestons vigoureusement aujourd’hui. J’ajouterai pour finir la dimension plus secrète de sa clinique et de sa pensée, telle qu’elle apparait dans les textes publiés par la revue Topique n°110, 2010 et Psychanalyse n° 21, 32011.
I. « N’ayez pas peur »
Etant donné qu’aucun chef d’inculpation n’a encore été officiellement prononcé, on suppose que c’est à cause du groupe de parole que Rafah Nached anime chaque dimanche avec les jésuites de Damas, qu’elle est soupçonnée de porter atteinte à la sécurité du pays. Ouvertes aux citoyens de toute obédience, ces réunions sont destinées à aider les Syriens à surmonter la peur. Dans ses articles publiés en français ( cf. Topique) Rafah Nached précise qu’après avoir fait ses études de psychologie clinique sous la direction de Sophie de Mijolla-Mellor à Paris-Diderot, elle a travaillé à Alep dans un « hospice de vieillards », « un milieu où vivaient des personnes présentant un mélange incroyable de psychoses, d’épilepsies, d’hystéries, de retards mentaux, de handicaps physiques couvrant toutes les tranches d’âges, de 2 ans à la vieillesse ». Elle poursuit ce travail lourd à Damas dans des Centres pour handicapés mentaux dont elle tente d’en faire « un espace de parole pour aider /ces personnes/ à accepter les handicaps auxquels ils étaient confrontés et considérer les enfants comme des êtres sensibles et blessés par leur handicap ». Enfin, son cabinet personnel devient peu à peu un « lieu de parole et d’écoute pour des gens souffrant de cette interdiction » qui caractérise selon Rafah Nached le climat social de son pays : « à l’extérieur, dit-elle, la parole libre est interdite, obligeant à mille et un détours pour exprimer quelque chose d’un peu personnel. Il est aussi très difficile de dire ou d’exprimer un « non » et cela dans tous les domaines, c’est un aspect culturel. » (c’est moi qui souligne, JK). Son cabinet analytique devient alors « un lieu où le moi peut exister alors qu’à l’extérieur il est barré. Un lieu où l’on peut prendre de la distance par rapport à la famille, au travail ou à la société où règne la fusion » ( art. de janvier 2010, inTopique).
C’est ainsi que, face aux retards de la psychiatrie en Syrie, aux difficultés que Rafah rencontre pour introduire la psychanalyse dans un milieu dominé par le behaviourisme et le comportementalisme, face à la peur de dire «Je » et « non » dans un pays où la tradition n’incite pas à la parole singulière, et de surcroît sous un régime de violence et de répression aggravées, c’est auprès d’un jésuite français, puis d’un jésuite hollandais, et quelques autres dont un jeune jésuite syrien qui a eu le courage de critiquer la hiérarchie de l’Eglise complice du régime de Damas ( dans un texte paru en août 2011 dans un journal syrien), et très précisément dans les lieux de prières des jésuites de Damas, – que Rafah Nached finit par entreprendre un travail de thérapie de groupe, fondé sur le psychodrame, avec un collègue jésuite et psychanalyste lui aussi.
Que dit cet acte, à l’origine strictement clinique ? Il dit : « N’ayez pas peur ! ».
Vous m’avez bien entendue, je suis en train d’esquisser une comparaison entre le travail analytique de Rafah Nached et…les propos de Jean-Paul II qui ont déclenché Solidarnosc – avant de conduire, dans la foulée et suite à une série de causes économiques, politiques et sociales, à la chute du bloc communiste lui-même. Mon rapprochement risque de choquer beaucoup de personnes dans cette salle. Je le maintiens. Une comparaison n’est pas raison. Sans établir d’équivalence entre les psychodrames de Rafah pour soigner la peur, et l’appel d’un Pape en Pologne, et tout en suggérant une ressemblance, la figure rhétorique maintient les irréductibles différences entre les deux champs : la Syrie et la Pologne, Rafah et JP2. Ce paradoxe qui produit une sidération, vous invite à transformer le vide de pensée, non pas en agressivité, mais en ce désir de signifiance, qu’on appelle une curiosité psychique. C’est elle que Rafah essaie de faire naître chez ceux qui ont peur. N’ayez pas peur, vous pouvez savoir et le dire, « Scilicet », dit-elle… mais en arabe. C’est bien avec cette fragile étincelle, la curiosité psychique, que Rafah s’est levée face au pouvoir syrien. Et c’est elle que j’essaie d’entretenir aujourd’hui en nous, pour que nous puissions donner un avenir à cet acte modeste, scandaleux, qu’est la clinique de Rafah, et qui inquiète tout régime dictatorial.
II. Soyons sérieux. Personne ne sait qui succédera à la dictature actuelle. Nous sommes nombreux à craindre que la révolte libertaire ne conduise au pouvoir un intégrisme d’abord insidieux, à la longue virulent.
Et c’est précisément à cette crainte aussi que s’adresse un autre aspect du travail de Rafah Nached : sa recherche qui renoue avec le long processus de traduction du vocabulaire psychanalytique (celui de Freud et de Lacan) dans la langue arabe, et qu’elle essaie de dynamiser ; puis sa tentative d’interpréter à la lumière de la psychanalyse l’expérience religieuse de l’Islam.
Nous sommes ici au cœur de la menace intégriste que la politique ne peut pas résoudre seulement avec des lois, des mesures économiques ni même des campagnes de guerre plus ou moins consenties par l’ONU. Il convient de reprendre l’ambition de Nietzsche qui, s’adressant aux « voyous de la place publique » et tout en prenant au sérieux la « mort de Dieu », pose « un grand point d’interrogation à l’endroit du plus grand sérieux », c’est- à- dire à l’endroit de Dieu. En d’autres termes, il s’agit de poursuivre sans relâche « la transvaluation des valeurs », forcément et traditionnellement religieuses. La psychanalyse, mieux que toutes les sciences de l’homme, est placée au cœur de nos singularités spécifiques, où cette transvaluation concerne l’intimité de chacun, de chacune.
Le travail que Rafah Nached accomplit dans cette perspective est encore embryonnaire, timide, hésitant. « Un frémissement », m’a dit Jacques- Alain Miller quand je lui en ai parlé au téléphone. Mais ce travail est en cours, et pour moi il représente la part la plus impressionnante, la plus prometteuse, du phénomène Rafah.
A. Après avoir rappelé les travaux de Moustafa Safouan, Moustafa Hijazi et Sami Ali traduisant Freud et Lacan en arabe, le groupe autour de Rafah Nached qui reprend cet effort se dit « tourmenté pour retrouver l’introuvable mot adéquat porteur de sens dans la langue arabe » ; il nous faut « faire naître la psychanalyse dans la langue arabe » ; « nous vivons la psychanalyse comme métaphore de la traduction et la traduction comme métaphore de la psychanalyse » ; « nous avons découvert que la psychanalyse est un travail de civilisation, c’est-à-dire de vie », « qui tourne autour de la relation avec la langue arabe » ; « la société n’est pas entrée dans le post-modernisme ». Et c’est ici que tombe cette découverte, que peut-être seule une femme pouvait souligner avec autant de force, écoutez : contrairement à la langue allemande de Freud (et le français de Lacan) ou les métaphores sexuelles sont si riches et ouvrent un accès direct à l’inconscient, « dans la langue arabe les métaphores (relatives à la sexualité) se situent dans le domaine de la mort « ( in Topique, p.124). Ou encore, cherchant à diagnostiquer ce que l’analyste entend de spécifique à Damas, et en particulier « pourquoi cette peur de la parole psychanalytique », Rafah Nached écrit ceci : « La psychanalyse se trouve peut-être entre le rejet de la sexualité au sens général du terme et le langage ésotérique de la divinité ». ( « Dire l’indicible », in Psychanalyse,21)
B. Vous saisissez, les peurs que cette femme analyste essaie d’entendre, vont bien plus loin que la peur d’un régime politique : elles sont verrouillées dans l’attitude religieuse.
Pourtant, Rafah Nached ne les attaque pas frontalement. Elle ne cible pas les foulards ou les burkas, l’enfermement des femmes ou les appels au djihad. Face aux pratiques religieuses de l’Islam, c’est au soufisme que Rafah et son groupe s’intéressent, parce que là se développe approfondissement psychique du lien amoureux entre Moi et TOI : « trahison ou amour ? ». Sous ce titre, c’est au lien amoureux entre le mystique et son Dieu, chez Hallaj ( un célèbre mystique rebelle du XIIe siècle), que R. Nached consacre une étude succincte dans la revue Psychanalyse ( « Tasin… », n°21, 2011) : à son « expérience intérieure» qui résonne aussi bien avec le texte de G.Bataille qu’avec l’ « appareil psychique » freudien ou les « topologies » de Lacan. Bien que très dépendante des travaux d’Henry Corbin et de Louis Massignon, la psychanalyste avance prudemment une interprétation de l’ambiguïté de cet amour mystique qui lie le Moi à son Grand Autre. A la foisunion illusoire ( avec Allah) et rébellion diabolique (du côté d’Iblis), la foi du soufiste apparait comme le comble du fantasme où le sujet s’identifie à la toute-puissance de l’Autre, pour la retourner jusqu’à la dominer dans la « père-version » qui culmine dans l’omnipotence de Soi. Mais cette liaison ambivalente se poursuit aussi dans dépassement du symptôme lui-même, par l’acceptation du désêtre et de la frustration, jusqu’à la jouissance de la déprise et de la néantisation de soi, comme de tout pouvoir. Par ailleurs, la position sacrificielle, la féminisation de l’âme islamique dans sa subordination à la divinité qui serait l’unique masculin, la question de la jouissance « autre » ( ni homme ni femme mais « pure subjectivité », sans être nécessairement ni extatique ni exterminatrice à la façon d’Al Qaida) sont esquissées dans l’article « Dire l’indicible » (Psychanalyse, 21, 2011). En conclusion, c’est « en passant par la mystique et son rapport avec la jouissance, que le langage (de Lacan ? de la psychanalyse ?) peut être compris et accepté par nous. », résume Rafah Nached dans Topique(p.126)
Je lis ces travaux comme le début d’une voie que nos collègues syriens tentent d’ouvrir, non pour stigmatiser l’expérience religieuse, mais pour la mettre en question. L’analyser, la déconstruire, infiniment. Est-ce une raison supplémentaire de mettre cette femme en prison ? Bien sûr. Mais je parie que les geôliers ne le savent pas. Et que ces avancées ne peuvent que se renforcer, malgré et contre la persécution qui s’abat sur Rafah.
Enfin, le groupe de Rafah Nached tient à signaler qu’il reste attentif aux « nouvelles maladies de l’âme » produites par l’actualité. Il travaille par exemple avec des réfugiés irakiens : leurs douleurs, chocs et violences subis ou exercés ; et cherche à « faire émerger quelque chose qui vient de notre langue, de notre culture », disent ces collègues cités par Rafah. « Nous ne voulons pas faire de la psychanalyse un empire dont Paris est la capitale ».
J’entends la fierté et l’ambition de ce projet et de cette critique. Et je propose ceci :
Le jury Simone de Beauvoir pour la liberté des femmes que j’ai créé en 2008 et qui a distingué 6 femmes exceptionnelles de l’Inde, de la Somalie-Pays Bas, de l’Iran, de la Chine ou encore de la Russie, se réunira la semaine prochaine pour choisir la lauréate du Prix 2012 qui sera remis le 9 janvier au Deux Magots à Paris. Ce sera probablement une femme du Maghreb ou du Mashrek. J’aimerbais soumettre à la réflexion du Bureau que Rafah Nached soit nominée, bien que nous ayons déjà les candidatures de plusieurs femmes remarquables et dont l’œuvre est quantitativement plus importante, qualitativement plus accessible.
A côté de cela, le phénomène Rafah Nached me conduit à vous proposer que notre Forum des femmes se prolonge par un Forum permanent sur le thème « La Psychanalyse dans la diversité culturelle ». On pourra l’appeler Forum Rafah Nached : la psychanalyse dans la diversité culturelle. Il réunira régulièrement des psychanalystes français avec d’autres, issus des diverses traditions culturelles qui aujourd’hui s’éteignent ou se combattent sur la planète. Il aura pour but de stimuler latransvaluation des traditions qui hantent l’inconscient : cette transvaluation que je considère comme la seule opposition radicale à la peur et à la banalisation. Avec un peu de chance, un Prix remis par ce Forum et portant le nom de Rafah Nachedpourrait récompenser l’excellence d’une oeuvre clinique ou théorique qui contribue à développer la psychanalyse dans le climat critique de la globalisation.
Avec la libération de Rafah que nous exigeons, ce sera notre réponse à la peur, et à ceux qui tentent de faire taire cette femme qui essaie de dire l’indicible.
Julia Kristeva 9.10.2011